Deux fous
N ous nous sommes élancés dans le monde. Comme deux fous. L'un vers l'autre. Pour nous dompter, car en le faisant, nous la dompterions, elle, la folie du monde. Nous nous sommes loupés. Nous nous sommes trompés. Agrippés contre. Lovés pour. Souris. Fâchés. Sens dessus dessous. Chavirés et sans le sou. Des mendiants du désir. Des vecteurs d'innocence, boulettes d'énergie flamboyantes à base de certitudes féroces. Nous nous sommes grimés pour les effets spéciaux, nous nous sommes parodiés pour les effets comiques. Vue panoramique, nous nous sommes reconnus tendrement beaux. Cela a duré un instant ou deux. Quelqu'un de nous, je ne sais plus qui, a appuyé sur pause. Le replay n'a pas fonctionné tout de suite. Et ce fut le silence. Celui-là même qui nous aurait effrayé jadis. Nous y percevions tous deux les voix diffuses de fantômes sacrés, mais sans les différencier pour autant. Nous nous promettions d'en parler entre nous le soir, avant ou après l'échange de nos parts d'amour. C'est ainsi qu'ils devinrent notre famille, qu'on leur fit place à notre table, au milieu du lit ou de la baignoire, dans les interstices de nos vitalités, aussi réels et incorruptibles que le déferlant cortège d'écoliers un premier jour de classe.