Atlantide

R
édemption, je le vois marqué partout, tout le temps. Je n’en saisis pas le sens, pas tout le temps. Je me remémore les temps anciens, où je ne savais rien, où je n’étais rien. Que pouvait-on me reprocher à l’époque ? Ces temps reculés, où tout le monde se prenait pour le roi du monde. Foutaises. Je n’en faisais pas partie. J’ai tué ces souverains de pacotille. Dois-je le regretter maintenant ? Il est trop tard, nous nous retrouverons ailleurs, et alors ce sera la vraie confrontation. Vous et moi n’en mènerons plus large. Dans cette attente, je me prépare, me fonds en excuses sottes, respire ce que mes poumons me permettent encore d’inhaler sans m’étouffer, j’aiguise ma rancune. A date, je ne sais pas si cet enseignement aura été vain. Est-ce cela la véritable tristesse ? Je la touche du bout de mes doigts recroquevillés. Je vous aurais épargné cela au final. Et maintenant je vis avec, je les porte en moi, sous la peau, vos éclats de verre brillants, distillant le feu dans mes veines haletantes. Je termine, n’en finis plus de terminer des raisonnements sans intérêt, des partages pour personne. Comment en est-on arrivé là ? Je me confronte désormais à la pauvreté d’une scène éteinte, insonore, des bribes laissent parfois siffler, suinter les ultimes lueurs du jour. Qui reste-t-il pour le sermon ? Parfois j’aimerais vous retrouver plus vite que prévu. Accélérer le tempo pour m’assurer que vous n’avez pas oublié bande de lâches, que tout cela est bien parti de quelque part. Je vous fais ce dernier honneur en ce qui me concerne : je vous garde vivants, présents au garde à vous chaque matin que Dieu fabrique encore par je ne sais quel miracle dont il nous préserve. Vos enfants, je les croise, on se toise, léopards exilés, bitumés, cramés. Qui se souvient de l’odeur du soleil ? Qui de vous l’a embarqué ? Vous auriez dû penser à eux ! Ce fut un sacré coup de grâce, génies de l’apocalypse. Adieu l’été, les fleurs, l’innocence des flirts tendres et fragiles. Rendez-leur, vous n’en avez jamais eu besoin, aucune utilité, préoccupés par bien des choses sauf celle de glisser des fleurs dans les cheveux soyeux des filles dociles, d’enfouir des baisers profonds et sincères dans leurs cous pelotonnés, de leur offrir des émeraudes sucrées en pain d’épice et au lait de coco. Je viendrais vous botter les fesses, un par un, juste pour vous rappeler à notre bon souvenir, hommes-vivants, animés, voûtés mais pas encore assez fatigués, écorchés tout au plus, ô combien amers. Qui a eu cette putain d’idée ? Une mauvaise blague. Quel mauvais sketch, c’est fou à quel point vous avez réussi à vous prendre au sérieux, singes savants. Jusqu’au bout du bout du bout. Et maintenant que plus personne ne répond de rien, l’on pense que c’est mieux ainsi. Qui reste-t-il à blâmer ? Je me porterais bien volontaire comme caution morale auprès des vagues de notre jeunesse désœuvrée, destituée, dépecée, dépucelée. Ils ne savent plus, ça me sauve, l’ironie du sort fait que toute trace en a été effacée, occultée, sacrifiée. Qui reste-t-il pour rire ? Pour marcher, danser, échanger, pour se fondre dans l’autre, s’émouvoir dans la pénombre, toucher, fédérer, soigner, caresser, libérer ? Je traverserais les plaines des morts à votre recherche et je vous ramènerais ici-bas, dans le labyrinthe des âmes errantes, répondre d’autant de crimes que vous n’avez pas eu loisir de commettre. Je vous brandirais fièrement à la face du monde, reviendrais dans la lumière l’espace d’un instant, goûterais au déchaînement réconfortant des hordes. Ravivés dans la flamme de leurs mémoires reptiliennes, leurs souvenirs n’épargneront ni bourreaux, ni prophètes. Ce serait une façon honnête de boucler la boucle. Vous, moi, le peuple et l’ultime estocade. C’est ce qui me reste au final, le rêve des légendes achevées. Car après toutes les tempêtes d’argent, les fibres décousues, les cols infranchissables, les triangles des Bermudes, les failles sismiques dupliquées par centaines de milliers, après ce banquet de catastrophes orgiaques, servi al dente, après la dégradation thermonucléaire, l’arrêt des réacteurs, les évacuations expertisées, les appropriations raisonnées, les aveuglantes pluies métalliques, les surcharges en plomb, le méthane et les dérèglements acides, les secousses toujours plus marquantes, déséquilibrantes, pénétrantes, déchaîné je reprends le compte à rebours, édifiant une comptine pour les générations futures, celles pour dans 100 000 ans, celles qui auront le temps de croître, de rechuter, et de s’émerveiller à nouveau, devant un nouveau soleil, une nouvelle ère, des nouvelles vies empreintes de toujours plus de conscience, de savoir accumulé, de haine résorbée, de droit à l’oubli. Afin que tout cela, et bien davantage encore, puisse être à jamais gravé dans les résiliences semi-précieuses, les silos génétiques, les transes mystiques, les connexions neuro-synaptiques, les embryons élastiques, les vibrations moléculaires, tractés par la beauté intangible des cœurs survivants.